Philippe Valter

1. La fin de l'histoire

Un homme affaissé sur un banc
Il compte les passants pour passer le temps
Une canette de bière tiède à la main
Sur l’épaule un fardeau de chagrin

Il se lève doucement
Et s’éloigne en boitant

Mais moi
Je veux savoir
La fin de l’histoire

Un couple d’amoureux se promène
Ils vont droit devant eux là où leurs pas les mènent
Le garçon lui murmure à l’oreille
Elle envoie son fou rire au soleil

Ils s’éloignent doucement
Disparaissent au tournant

Mais moi
Je veux savoir
La fin de l’histoire

Une fille dont la robe danse au vent
Un jeune homme en costard, un vieillard qui attend
Ils ont tous un secret bien gardé
Une histoire dans un livre fermé

Je me lève doucement
Et m’éloigne en chantant

Je pars
Sans savoir
La fin de l'histoire.

2. Le bon chemin

Marcher n’est pas bien difficile
Pourvu qu’on sache où aller
Je ne crains pas compter les milles
Mais les mille façons d’en dévier
Il suffit d’une main tendue
Du conseil d’un inconnu
Pour enfin retrouver le bon chemin

Il faut oser pousser la porte
Et s’abandonner à la chance
Qui sourira sans grands efforts
À qui gardera sa confiance
La vie parfois envoie des guides
Ils apparaissent brièvement
Le temps de nous remettre sur le bon chemin

La route est longue quelquefois
Et l’on se sent parfois si seul
Mais c’est au beau milieu du noir
Que s’aperçoit la lueur
C’est peut-être un vieil ami
Qui m’appelle vers lui
Et qui se trouve toujours sur le bon chemin.

3. Ton nom est personne

Tu voulais changer le monde
Tu croyais en tes idées
Qui étincelaient dans l’ombre
Comme un phare sur la jetée

Mais le phare s’est consumé
Et la mer l’a englouti
Il faut tout recommencer
Et ton nom est personne

Tu voulais quitter le port
Tout en restant près du feu
L’aventure et le confort
Peut-on concilier les deux

Soit tu pars à la recherche
Vers les eaux limpides et nues
Soit tu t’accroches à la berge
Et ton nom est personne

Te voilà sous les projos
Et sous les applaudissements
La clameur et les bravos
Que tu ambitionnais tant

Mais le rideau se referme
Il n’y a pas de rappel
Tu es seul dans cette arène
Et ton nom est personne.

4. Il fait noir

Je me rince le visage
Une dernière fois
Effacer à l’eau froide
Les marques qu’on ne voit pas

Tu es comme cette eau
Qui fuit entre mes doigts
Je me demande comment
On a pu en arriver là

Il fait noir
Trop noir pour lire
Trop noir pour dormir
Il fait noir
Comme un dimanche soir

Et la lune sur la vitre
De ma chambre à coucher
Vient poser sur le lit
Une lueur rayée

Et j’écrase mon ennui
Au creux du cendrier
Mes pensées dans la nuit
En volutes de fumée

Il fait noir
Trop noir pour lire
Trop noir pour dormir
Il fait noir
Comme un dimanche soir

Et je ne sens en moi
Ni bonheur ni tristesse
Il n’y a que ce noir
Comme unique promesse

Pourquoi crier au ciel
En agitant les bras
L’oiseau ne revient pas
Vers une cage ouverte

Il fait noir
Trop noir pour lire
Trop noir pour dormir
Il fait noir
Comme un dimanche soir.

5. Un homme qui marche

Au bord de la nationale
Un homme qui marche doucement
À tout petits pas
Là-bas

Vieillard aux longs cheveux blancs
Qui dansent, au rythme du vent
De son chant glaçant
tout bas

Au loin la lueur d'un phare
Déchire le voile du soir
On l'arrête là
Au milieu du rêve
Retour en arrière

Demain il repartira
La route l’attend déjà
Le même chemin
Demain

Certains y voient la folie
Pour lui rien n'est plus précis
C'est une évidence
Une chance

Un homme courbé mais debout
On le prend pour un fou, il s'en fout
Quelqu'un lui avait bien promis
Qu'il trouverait au bout de la nuit
Le trésor enfoui
Au fond de ses rêves
Alors il espère

Au bord de la nationale
Un homme qui dort doucement
Bercé par le vent
Tout bas

Il ne se réveillera pas
Il est arrivé enfin
Au bout du chemin
Là-bas

Quelqu’un lui avait bien promis
Qu’il trouverait au bout de la nuit
Son trésor enfoui
Qu’il cherchait sans cesse
Au fond de ses rêves.

6. Le châtaignier

Sous la pluie et le froid
La chaleur en été
Les gens passent devant toi
Sans toujours remarquer
Ta couronne centenaire
Et ta peau craquelée
À quoi bon s’arrêter
Pour un vieux châtaignier

Toi qui viens du soleil
Exilé dans le froid
Pour me tendre l’oreille
Les jours où ça ne va pas

Le jour est couleur d’or
L’été s’en est allé
Je te vois au-dehors
Et la brume à tes pieds
Je te dis mes conneries
Mes amours, mes tourmentes
Toi tu m’offres tes fruits
Sans jamais rien attendre

Toi qui viens du soleil
Exilé dans le froid
Pour me tendre l’oreille
Les jours où ça ne va pas

Un jour je partirai
Comme partent tes feuilles
Et je n’emporterai
Rien au fond du cercueil
Quelqu’un d’autre viendra
Tout sera comme avant
Tu seras toujours là
Ce sera le printemps

Toi qui viens du soleil
Exilé dans le froid
Pour me tendre l’oreille
Les jours où ça ne va pas.

7. Un rêve et son revers

Il pleut sur l'eau
Sur la côte je m'ennuie
Et j'observe un cargo
Qui traverse la nuit
Courir dans l'eau
Courir au ralenti
La mer est haute
Elle me tient les chevilles

Et le doute me prend
Je connais cette scène
Ne l'ai-je pas jouée déjà ?

Est-ce vrai ?
Ce doux mirage
Ce flot d'images
Est-ce vrai ?
Un rêve et son revers
Je vois le monde à l'envers

Un chant d'oiseau
Qui laisse une traînée
Et le vent dans mon dos
Qui me pousse à marcher
De mon épaule
Un corbeau qui s'élance
Haut dans le ciel
D'un bleu orange

Et je saute
Pour le rattraper
Mais il est déjà loin
Un point

Est-ce vrai ?
Ce doux mirage
Ce flot d'images
Est-ce vrai ?
Un rêve et son revers
Je vois le monde à l'envers

Pouvoir enfin
Toucher de vraies images
Et de la main
Les garder sur la page
Passer la porte
Descendre l'escalier
Passer la porte
Dans l'espoir d'y trouver...

Est-ce vrai ?
Ce doux mirage
Ce flot d'images
Est-ce vrai ?
Un rêve et son revers
Je vois le monde à l’envers.

8. Le monologue de la radio

De ma fenêtre j'aperçois
Les saisons qui défilent
Les gens qui passent, le regard froid
Empêtrés dans leur ville
Je les observe qui se dépêchent
Qui se croisent sans un geste

Et j’écoute
Le monologue de la radio
Posée sur le frigo

De ma fenêtre j'aperçois
Mes journées qui s'effacent
Et je finis le café froid
Oublié dans sa tasse
Un cahier blanc, les mots s’en vont
J’ai perdu ma chanson

Et j’écoute
Le monologue de la radio
Posée sur le frigo

De ma fenêtre je prends le temps
De compter les minutes
Elles s’égrènent lentement
Sans forcer leur allure
Elles accompagnent le rayon de lune
Qui s’allonge sur le mur

Et j’écoute
Le monologue de la radio
Posée sur le frigo.

9. Au bout d'un quai

Au bout d’un quai
Tu disparais
De ma mémoire
Et je repars
Vers d’autres rues
Vers l’inconnu

La lune m’observe
D’un regard pâle
Des chiens aboient
Sous les étoiles
Peux-tu les voir
Que puis-je savoir

La nuit est longue
Si longue et froide
Et jusqu’à l’aube
Je pense à toi
Es-tu bien là
Ou n’es-tu pas.


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